Récit de naissance :

Tu es là et tout commence…

« Bela mama eeee, bela mama eeee: » De ce mantra puissant et gratifiant appris et répété en chœur en atelier de chant prénatal, j’y ai puisé le courage et la confiance nécessaire pour m’honorer en tant que femme qui va donner la vie.

Quand c’est un premier bébé, un premier accouchement, on part sur une nouvelle aventure, cap sur l’inconnu !Je sentais au fond de moi que ce moment serait idéal dans l’intimité, sans bruit, sans néon, sans étrier, sans piqûre, sans position allongée et j’en passe.
Enfanter, c’est avant tout une histoire d’intuition et d ‘écoute de ses ressentis. Je me suis donc rapproché des SF qui préparent a un AAD. Et puis de l’eau a coulée sous les ponts. En lisant la liste du matériel à préparer pour la maison le jour J , plus le fait que notre appartement est relativement petit, j’ai changé d’avis. Et puis toutes ses copines qui me disaient: “tu as la confiance pour un premier bébé! Ne soit pas trop fière, l’essentiel c’est que ton bébé arrive en bonne santé ».

J’ai donc réfléchi a un compromis et j’ai opté pour les salles natures. Aujourd’hui, presque tous les hôpitaux en sont pourvues. Elles sont assez grandes , chaleureuses et très bien équipées pour y faire un accouchement sans trop d’ingérence médicale. On y trouve l’essentiel : une baignoire de dilatation, des tapis, un banquette canapé et des écharpes de suspension.
Le grand avantage de ces salles, c’est qu’on vous y laisse avec une personne de confiance, et qu’en fonction de l’avancée de votre travail, on vous assiste ou non. Si jamais une complication arrive, vous êtes directement entre les mains du personnel médical.
L’inconvénient toutefois , est que la salle ne peut pas se réserver. La devise de fonctionnement est claire:  premier arrivé, premier servi. Il faut donc être chanceux.

On était le 1er avril. J’étais a cinq jours du terme et en forme olympique. Je venais de faire quinze km de vélo dans la journée sous un soleil de plomb. La grossesse s’était vraiment très bien déroulée et je commençais a languir l’arrivée de notre fille.
Le chant prénatal, la méthode Bonapace, le yoga, et de nombreuses lectures sur la gestion de la douleur m’avait armée jusqu’aux dents. J’étais comme un soldat sur la ligne de front, j’attendais le premier coup de canon.
On se disait: “bon ben ce ne sera pas un poisson d’avril ce bébé, il faudra attendre encore un peu!”
On venait de dîner des quenelles avec une sauce tomate toute pourrie qu’on avait finit par jeter. On avait donc pas mangé grand chose et on s’est mis devant un film.
C’est alors que je ressens un très léger mal de ventre et je me dis que l’effet sauce tomate fait sont effet. Mon homme, rempli d’ intuition se lève soudainement et s’exprime “ça, ça veut dire que c’est pour ce soir”: il s’ affaire, range la cuisine, passe le balai, plie le linge et nous prépare une valise.Je le regarde faire avec déni. “Détends toi, lui dis je, on a le temps de refaire mille fois le monde avant de partir à la maternité ! »

Et puis la douleur monte crescendo, tout doucement, heure par heure. Une douleur jamais ressentie depuis 9 mois. Je commence a y croire. C’est peut- être ça des contractions?
On installe progressivement notre petit cocon dans le salon: les loupiotes pour l’ambiance tamisée, le ballon,  des couvertures et des tapis. Remi met de la musique, me joue de la guitare, on se raconte des histoires. Il est hyper attentionné. C’est un moment exquis et tout en douceur.
Vers 23h, la douleur devient plus forte et intervient par vague, toutes les 5 à 10min. Plus de doute, ce sont des contractions. Remi les note, sur un bout de papier à chaque fois que je lui fait signe.
On met en pratique toutes les positions vues avec les sages-femmes, au gré de mes intuitions. et de mes besoins.  Le ballon me soulage au début et s’avère vite insatisfaisant. Je ressens le besoin d’aller plusieurs fois aux toilettes. PIpi, caca. Mes intestins se vident, naturellement, pour laisser la place aux organes qui vont opérer le travail de l’enfantement.
J’inspire bien fort, par le nez, puis j’expire en conscience, par la bouche. Je continue l’exercice avec une petite paille par laquelle je tente de respirer mieux encore, pour accentuer la concentration. Je mise tout sur la détente.

3h du matin: Rémi sort son ampli et son petit clavier basse. Je fais danser mon ventre contre l’enceinte. Les vibrations me procure un bien fou.
3H30. Nous voila badins, je ressens une euphorie. L’occytocine m’annonce qu’elle est prête pour le grand moment, elle est a mes cotés.
4h. Mon corps me laisse un répit: je m’endors profondément sur le canapé,
4H30. La douleur me réveille. Elle a prit un cran. Je commence naturellement a vocaliser, comme appris en chant prénatal. Des sons graves “MmmmmBOooooAaaaa”, à répétition incessante, qui m’enracine dans le présent, qui me projette dans ma grotte.
Dès que la contraction apparaît, je me lève, j’étire mon dos, ma tête entre les bras, mes mains repoussant le mur.
5H.J’appelle la maternité. La SF me dit que c’est encore tôt, que le travail commence. « Prenez une douche, détendez vous et rappelez nous quand ce sera un poil plus douloureux »
L’eau chaude faisant effet, je me rendors pour une vingtaine de minute.
A 6h, je rappelle la mat. On me dit: « ok, venez! »

J’enfile mes chaussures, mon homme avance le carrosse. Impossible de m’asseoir, la verticalité est la seule position qui tienne. J’y vais donc a pieds. Quelle chance! nous habitons à 800 mètres de la clinique. A chaque contraction montante, je marque une pause. Pour les automobilistes qui nous croisent, cette scène doit drôlement ressembler à un retour de boite de nuit au petit matin.
Je suis escortée par Rémi avec les valises, mais aussi par le lever du soleil sur nos montagnes et le chant des oiseaux dans les platanes, c’est un moment très doux. La nature dans toute sa beauté.

A la maternité, nous accueille l’équipe de jour fraîchement arrivée. Deux jeunes sages-femmes douces et tout sourire m’installent le monitoring et m’auscultent. Le col est dilaté a presque cinq centimètres. Chouette, on est déjà a la moitié. Et puis “bonne nouvelle! Dit la sage-femme, la salle nature est libre, je vous fais couler un bain de suite”. Non mais wahou ! double chance! les anges sont avec nous. Tout se déroule a merveille, je me sens hyper confiante.

On m’installe le monitoring: bébé va bien. Je continue a gérer les contractions par la respiration, les vocalises, et l’accupression. Le point qui se trouve dans le milieu des fesses s’avère très efficace.A 8h, je suis nue dans le bain, seule avec Rémi a mes cotés, qui me fait des blagues et prend des photos. J’ai un regain d’énergie, comme un ravito pendant un trail. On vient de vivre une nuit blanche, mais je me sens en pleine forme.

A 8h30, les douleurs reviennent de plus belles, l’eau ne fait plus l’effet d’un antalgique. Toutefois, la dilatation a opérée, le col est ouvert à 7. Je suis nue, toute nue. Les 2 sage-femmes sont revenues. Ce sont les gardiennes de la bonne arrivée de notre enfant, je les sens nullement intrusives. Elles observent, accompagnent, dans leur bienveillance et leur douceur.
Ca devient vraiment dur, je continue de chanter, je m’accroche aux écharpes suspendues au plafond mais ne sais plus trop quelle position mettre en place pour soulager la douleur. Je perds le contrôle, je baisse les bras “j’en peux plus, c’est trop dur”, dis-je.
Ma voix résonne dans toute la pièce. Les sage-femmes sont encourageantes, elles me disent “Pauline, vous avez fait tout ce chemin, vous allez y arriver, votre bébé est bientôt là”.
Mon homme est tout près de moi. Sa présence me donne du courage, me rassure. Il appuie avec ses pouces dans mes fesses. Ca marche du tonnerre. A 9h, on me propose du gaz hilarant, j’accepte. Puis je m’installe a 4 pattes, le front regardant le sol, le haut de ma tête en appui sur le canapé.  Mes bras cherchant l’accroche trouvent ceux de la sage-femme qui tire aussi, gagnant à étirer mon dos. Une seconde passe et je pense a la péridurale et puis une autre seconde et je me dis “j’ai trop mal pour changer de pièce”, je suis partie pour le grand voyage, plus rien ne nous arrêtera”.

Les propos de Maitie Trelaun me viennent alors en tête :«Si j’accueille ce qui est, si j’ accepte la douleur de l’instant T, alors le chemin se fait tout seul : l’occytocine explose et le passage s’ouvre. Car plus je suis séparée de ce que je suis, et plus j’ai mal. »

A ce moment là, je crois que je pars dans une autre sphère, mon cerveau court-circuite. Je perds possession de mon corps, je ne contrôle plus rien, comme si ce mammifère sauvage qui est la, au fond de mon être en avait pris les commandes. Une lionne en toute puissance.  Il n’y a plus de réflexion, plus d’analyse, j’ai besoin de rugir, besoin de sentir la force du masculin à mes cotés. Je continue de vocaliser, très fort. Je hurle : “Remi, chante avec moi ! Plus fort !”
Mes yeux se ferment, je suis rentrée a l’intérieur de mon corps. Le temps s’arrête. Je ne sais plus ni ou on est, ni pourquoi on est là. Je me fiche de mon entourage, je me suis enterrée dans une abysse très profonde, a six pieds sous terre, dans ma grotte.

Deux heures s’écouleront avant l’arrivée de notre bébé, deux heures aux souvenirs très flous.
C’est un enchaînement de contractions intenses puis de phases de sommeil profondes et délicieusement reposantes.

Je me souviens que lorsque je reprenais conscience,  il y avait beaucoup de bave sur le canapé. La pièce était d’un silence presque dérangeant, mais enveloppant, que les sages-femmes me tenaient la main.
Je me souviens que je chantais toujours, tout le temps, pour garder un état de  méditation dont j’avais fondamentalement besoin.
Je me souviens que la lumière du matin me gênait terriblement et que les sage-femmes se sont affairées pour accrocher des draps avec du scotch au fenêtres, et que ça n’avait finalement pas marcher.
Je me souviens que j’ai vu un cathéter enfilé sur le dos de ma main et que je n’ai pas compris ce que cette chose faisait là.
Je me souviens que plusieurs fois, j’ai dit ” de l’eau” tellement je transpirais, et que Rémi me vaporisait le visage.
Je me souviens aussi que son téléphone a sonné, et que je l’ai senti se lever pour partir et que j’en ai perdu ma léthargie. « Reviens tout de suite !”, lui ais- je ordonné, terrassée. J’avais un sentiment que le monde s’écroulait soudainement. Mon pilier venait de s’en aller.

A 11h, j’ai une très grande envie de déféquer. J’exprime ce désagrément sans gêne, mais avec surprise. C’était irrémédiable. Une envie très forte de pousser. Une impression aussi que le bas de mon corps va se déchirer. Je comprends alors que notre petite fille pointe le bout de son nez ! Je reste concentrée, les yeux fermés. J’ai des dizaines d’images mentales qui défilent, je vois mon vagin s’ouvrir, largement, mon bébé sortir. Ce n’est pas moi qui pense, c’est mon corps. Comme si je regardais la télé. J’ hurle telle une guerrière qui se donne du courage. La femme sauvage dans toute sa splendeur. J’essaie de pousser autant que possible pour faire sortir cette chose énorme qui me déchire le bas du ventre. Mais la contraction disparaît d’un coup d’un seul. J’entends que l’on s’agite derrière moi. Je crie “je n’y arrive pas, ça ne veux pas sortir !”. Ca me parait durer une éternité.
Une voix d’homme murmure alors a mon oreille “est ce que vous ne voulez pas changer de position peut etre ? Essayez de vous allonger”. Qu’est ce que ce médecin fait là? Je suis étonnée de sa présence, je n’ai pas besoin d’un homme supplémentaire dans cette pièce. Le mien est déjà là. Mais je me dis qu’après tout, mes genoux sont en feu, donc pourquoi pas essayer. Et puis impossible. me relever me donne le vertige, je repasse en position quatre pattes.

Soudainement, la poussée revient, intense, très forte, comme une seconde chance. Ca me brûle énormément, je donne tout, c’est dur, c’est comme la fin d’un trail lorsque les forces nous abandonnent. Mes yeux sont clos, je suis toujours au plus profond de mon intériorité.
“Allez y Pauline, poussez, c’est bien!” . « On voit ses cheveux! » lance Rémi. Ca me met une joie énorme. Et POK! comme une bulle de savon qui explose en une fraction de seconde ,  je sens mon ventre se vider. Du liquide chaud coule sur mes pieds, mes jambes. Quelque chose est passé, s’est éjecté de moi. J’entends un cri, puissant, le cri d’un nouveau né.

La voila ma petite fille, elle est là, elle vient d’arriver au monde ! Je pleure de joie, je me retourne pour la voir.  Elle est si belle, si petite, si parfaite. Je n’en reviens pas qu’elle soit sortie de mon ventre ! Et je suis si heureuse, une joie incroyable m’envahit, j’ai deja oublié l’épreuve que je viens de vivre. Elle a les yeux bleus, grands ouverts.  Je suis transis mais on m’aide a m’allonger sur la banquette. Je m’effondre sur le dos, on vient blottir ce petit bébé contre ma poitrine, c’est un moment de joie très très fort, l’aboutissement d’un grand moment. Je la découvre, je ne cesse de la regarder, je suis si émue. On a franchi la ligné d’arrivée, ensemble, elle, son père et moi. Rémi est là, il me serre, m’enlace, il doit etre complètement impressionné lui aussi. La douleur a fait place a une très grande détente. Je suis droguée, bourrée d’occitocyne. J’en suis pleine a ras bord.
Mon bébé sent bon, elle est déjà toute propre, les traits parfaits, elle est calme, j’ai l’impression de la connaître depuis longtemps.
Je vois son cordon ombilical sortir de mon vagin, Rémi le coupe au ciseau et ca n’a pas l’air facile. Le placenta se détache, la sage-femme me de prendre une bonne respiration,  je le sens sortir et le vois déjà partir loin de moi, tant pis…j’aurais aimé prendre le temps de l’observer, de le garder.

Et puis un cortège de femmes rentrent, me prennent ma petite fille. On l’essuie, on la pèse, on la mesure. « Comment va t’elle s’appeler? » . Rien n’était encore arrêté sur le prénom, mais deja je réponds sans attendre un signe de Rémi: Albane.
C’est un bébé si fragile de 2,4kg, j’ose à peine l’embrasser. Je suis épuisée mais tellement heureuse que je ne peux m’empêcher de sourire. Je suis aux anges, ivre de bonheur.

Ca y est, tu es là et tout commence. Une histoire est déjà en train de s’écrire. J’ai l’impression d’avoir couru un trail de 140 kilomètres et qu’on l’a gagné, ensemble. J’ai déjà envie de sortir et de partager cet évènement avec tout l’hôpital et puis la ville entière. D’appeler ma propre mère pour lui raconter nos exploits. C’est un bonheur. Tu nous a rejoins dans l’aventure dont toi seule en es l’écrivain. Nous restons là, tous les trois, enlacés les uns contre les autres et tu t’endors, paisiblement, dans le silence d’un vendredi de Pâques. Ca y est, tu es là et tout commence.

Livres à lire pour se préparer à l’accouchement physiologique :

-Intimes naissances, de Juliette et Cécile Collonge
-Accoucher sans stress avec la methode Bonapacé, de Julie Bonapace
-L’attente sacrée : yoga, maternité, naissance de Martine Texier
-J’accouche bientôt, que faire de la douleur ? De Maitie Trelaun
-La naissance en BD de Lucille Gomez
-Le bébé est un mammifère, de Michel Odent
-Bien être et maternité du DR Bernadette de Gasquet

Pauline, le 2 avril 2021